Photo de Richard Schroeder

Interview de Sébastien MIEL

Sébastien MIEL a été étudiant à l'Université de Rouen, il y a préparé (et obtenu) l'Agrégation de Mathématiques. Il est aujourd'hui l'un des membres du groupe de musique La Maison Tellier.

Un agrégé de maths
dans La Maison Tellier.

Tu as effectué des études de maths à Rouen, quel a été précisément ton parcours ?

J'ai passé un Bac S en 1995, suivi de deux années en classes préparatoires (maths sup/spé au lycée François 1er du Havre). Puis en septembre 1997, je suis arrivé à l'UFR de sciences à Mont-Saint-Aignan, j'y ai passé une licence et une maîtrise de Maths, puis l'Agrégation en 2001.

Que retiens-tu de tes études de mathématiques ?

Il y a deux aspects, les maths et la vie étudiante. Aujourd'hui, même si je ne pratique plus du tout les maths, ou presque, j'aime toujours me creuser la tête sur un problème, ou lire des articles de vulgarisation. Je continue même à donner quelques cours, pour dépanner, de temps en temps. J'aime la beauté parfaite et rigoureuse des maths, le côté immuable, une fois les prémisses bien établis. C'est un monde rassurant.
Concernant mes années rouennaises, et bien, c'était ma première expérience d'adulte autonome, mon premier appartement, les soirées, sorties dans les bars ou aux concerts ... C'est pendant cette période que j'ai rencontré Yannick Marais, avec qui j'ai créé La Maison Tellier. Sa femme faisait d'ailleurs ses études avec moi, nous avons obtenu notre maîtrise ensemble !

Es-tu le seul membre de La Maison Tellier à avoir mené de front études universitaires réussies et musique ?

PhotoNon, Yannick Marais, le chanteur, est agrégé d'anglais; Morgan Baudry, le bassiste, a passé une maîtrise de philosophie. Quand à Hyacinthe Chetoui, le batteur, et Frédéric Aubin, le trompettiste, ils ont fait des études de musique.

Cela fut-il difficile de choisir entre maths et musique ?

Je ne crois pas avoir choisi entre les deux. Enfin ... peut être qu'au départ, j'avais choisi les maths. J'ai enseigné en lycée pendant 6 ans avant de me lancer dans La Maison Tellier à temps plein. Mais quand c'est arrivé, j'ai plutôt eu à choisir entre être prof et musicien, et là, c'était vite vu !

Tes études t'ont-elles servi, de près ou de loin, dans ta carrière de musicien ?

Sûrement. Je n'ai suivi qu'un seul «vrai» cours de musique, c'était une classe d'improvisation jazz. On y faisait beaucoup d'harmonie, c'est un domaine de la musique assez «mathématique». On étudie la construction des accords, d'une gamme, les liens entre les différentes sonorité. Il y a un côté un peu «topologique», on étudie des sortes de «classes d'équivalence» de sons, comment on peut les combiner, etc. C'est aussi cet aspect là que j'aime bien dans les maths, les liens qu'on peut faire entre différentes idées, ou différents domaines.

Vois-tu un lien (esthétique) entre maths et musiques ?

Je pense qu'un beau texte mathématique peut procurer le même type d'émotions qu'une belle pièce musicale (enfin, je pense que ça m'est arrivé une ou deux fois, héhé). Les maths exercent une forme de fascination qu'on pourrait comparer à la passion qu'on peut éprouver pour la musique, ce sont deux champs d'exploration très vastes, dans lesquels on peut s'exprimer, créer (ou découvrir ?) de nouveaux langages, des nouveaux énoncés.
Photo de Johanne Kosak La démarche du chercheur est comparable à celle du compositeur, ils disposent tous deux de quelques éléments de base et les combinent pour parvenir à un résultat inédit, et qui fonctionne. Mais ce n'est pas si évident, car les maths apparaissent, de manière générale, assez cryptiques pour le profane et leur compréhension nécessitent en théorie un long apprentissage, alors que la musique, même très savante, peut toucher quelqu'un dès la première écoute. Disons que la musique semble avoir un côté très immédiat, presque gratuit, là où les maths semblent se mériter.
Cependant pour pratiquer la musique, il faut beaucoup travailler, ça se mérite aussi. Mais cela dépend du style et de l'instrument, la guitare est par exemple un instrument très gratifiant, très complet, on peut en quelques jours apprendre à se débrouiller et tout de suite jouer des chansons ou des morceaux simples, et pour autant, on peut aussi travailler des années pour jouer à la perfection telle ou telle pièce compliquée. Avec un violon, il faut beaucoup travailler avant de faire quoi que ce soit d'audible. C'est assez ingrat au départ, mais très beau après. On retrouve là l'aspect un peu «réservé à une élite» de certains domaines mathématiques.
Là où la guitare pourrait se comparer à l'algèbre (j'ai toujours trouvé un côté très immédiat à l'algèbre, on fait étudier les propriétés des nombres très tôt aux enfants, et on peut faire plein de petits problèmes amusants avec peu de matériel théorique. Pour autant, il faut sacrément bûcher pour commencer à comprendre les théories de Galois et ses applications), l'apprentissage du violon pourrait se comparer à celui de la topologie. Il faut apprendre plein de choses avant de commencer à comprendre de quoi il s'agit, et avant de faire des applications un peu «amusantes» (ou du moins, stimulantes). On retrouve en maths comme en musique des domaines très faciles à appréhender et à explorer et des domaines plus complexes et difficiles d'accès.
Bon, cette comparaison reste très approximative et est certainement faussée par mon manque de pratique mathématique depuis un bout de temps et ma mauvaise compréhension de certains concepts à l'époque !
Cela dit, il existe à mon sens une différence fondamentale entre maths et musique. En musique, on a tout un tas de règles théoriques à notre disposition, mais il est possible, et très intéressant, de les pervertir, ou de les détourner. En gros, si on parle d'un point de vue harmonique, il y a trois possibilités : on peut écrire quelque chose qui suit les règles parfaitement et qui marche (mais le résultat est souvent banal), quelque chose qui ne suit pas les règles et qui ne marche pas (ça ne sert à rien de s'obstiner, ça ne marchera pas mieux), et quelquechose qui ne suit pas les règles mais qui marche quand même (et c'est là que ça devient intéressant). En maths, j'ai l'impression que ce n'est pas possible, une fois qu'on a posé le cadre, soit on joue dedans et ça marche, soit on essaye de jouer dehors et ça ne marche jamais. A moins de créer un nouveau cadre, compatible avec tous les cadres déjà existants. Il me paraît par exemple impossible de pervertir la géométrie euclidienne, à moins de sortir du plan, mais pour le coup, on construit une nouvelle théorie, on ne joue pas avec les limites de la première.

Fais-tu tienne cette citation d'Édouard Herriot :
«La musique est une mathématique sonore,
la mathématique est une musique silencieuse
» ?

C'est joli, je m'y retrouve assez, oui. La correspondance n'est bien sûr pas totale, mais je trouve cette phrase très juste, et je ne la connaissais pas, merci !

Interviewers : O. Benois et G. Grancher