Témoignage souvenir de Philippe GUITTON
Philippe GUITTON a soutenu à l'Université de Rouen en 1987 une thèse sur le contrôle statistique de la qualité. Ensuite il a rejoint le groupe Michelin à Clermont-Ferrand. Il est également aujourd'hui responsable de la branche Auvergne du Projec.t Management Institut.
Des mathématiques à Rouen
... aux pneumatiques à Clermont
De 1985 à 87, du DEA à la thèse, nous étions quelques-uns venant en ordre dispersé de la Sarthe (comme moi), plus largement des Normandies (à l’époque il y en avait deux !), et même de la région parisienne. Notre petit groupe d’étudiants se retrouvait chaque semaine pour découvrir un peu plus les mathématiques, chacun pris dans sa trajectoire personnelle de formation ou de reconversion. Il en était de même pour le corps enseignant qui se retrouvait à Mont-Saint-Aignan, se partageant souvent entre plusieurs lieux de cours éloignés (Paris, Le Havre...). Finalement ces courts moments de rencontre étaient l’occasion de discussions intéressantes mais souvent trop brèves.
Parfois le brouillard à couper au couteau (du 2ème étage on ne voyait pas le sol !) nous isolait du monde et exacerbait l’étrangeté des processus stochastiques et autres tests d’hypothèses. Heureusement Régine1 , la secrétaire et son accent du midi, venait ensoleiller les pauses.
Internet, le portable, le mobile, les tablettes, les écouteurs dans les oreilles et Word n’existaient pas. En revanche, la colle, les ciseaux et la photocopieuse étaient nos outils de traitement du texte, tous nous en étions des experts, certains excellaient. Les bouquins de Bourbaki se consultaient sur place et non pas à distance, dans le silence et l’odeur de la BU.
Un site industriel2 de la périphérie de Rouen, dans le domaine de l’électronique,
avait eu la bonne idée de soumettre un sujet de thèse où les maths avaient une place de choix.
Il s’agissait de limiter la durée d’arrêt des lots de pièces en attente de libération qualité
et de mettre au point un contrôle qui continue de garantir un niveau maxi de défectueux livrés.
Le challenge était à la fois de faire appel à des techniques de maths un peu évoluées
sans pour autant effrayer l’industriel qui a plutôt horreur de se laisser embarquer dans des voyages
dont il ne maitrise pas la destination.
Les travaux en commun pendant ces deux années furent très enrichissants mutuellement,
avec une constante que j’ai pu retrouver et appliquer par la suite chez Michelin,
bien prendre le temps de comprendre le besoin du demandeur et de poser le problème.
Chercher en permanence la simplicité, nous dirions maintenant, chercher le «just right».
Les préoccupations de pérennité, de conduite du changement et d’appropriation
par les utilisateurs sont omni-présentes dans le milieu industriel.
Les efforts de formation des utilisateurs étaient indispensables et pas question bien sûr de leur parler proba.
Après 26 ans passés chez Michelin dans plusieurs postes assez différents, il me reste cette constante
forgée au moment de la thèse, de bien poser le problème, de ne pas hésiter à pousser la réflexion
(certes jusqu’à un certain point) pour éviter de consommer des ressources
qui sont de plus en plus rares en entreprise donc précieuses.
Ceci est d’autant plus difficile actuellement que la mode est aux méthodes «Agile»
qui privilégient l’action, mais présentent aussi leurs avantages. Bien utilisée,
la profondeur de réflexion et un certain niveau d’exigence, sur le fonctionnement des idées entre elles,
restent des pratiques qui apportent une réelle valeur et des gains de temps notables dans le déroulé des projets,
avant de concrétiser.
Le retour en force du traitement des données, avec le Big Data devrait redonner de l’importance
à la réflexion quand il est si facile de lancer des traitements qui produiront des conclusions quoi qu’il arrive
et donner naissance à des décisions, les moins erronées possibles.
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