Texte de Gérard GRANCHER
Gérard Grancher a été étudiant à l'université de Rouen de 1970 à 1979, puis ingénieur CNRS au laboratoire de mathématiques de Rouen de 1982 à 2017.
Un demi-siècle de mathématiques
à Rouen
L'enseignement supérieur des mathématiques a commencé bien avant la création de l'Université de Rouen ; il existait déjà une École Supérieure des Sciences et des Lettres de Rouen avant l’instauration en 1958 du Collège Universitaire des Sciences de Rouen (antenne de l'Université de Caen). Quelques mathématiciens comme Paul MALLIAVIN (probabiliste, futur académicien), Jean GEFFROY (qui deviendra directeur de l’Institut de Statistique de l’Université de Paris) y ont fait leurs premières armes d'enseignants avant de rejoindre une université parisienne. Les cours avaient lieu dans l'enclave Saint-Marie à Rouen (actuellement square Maurois).
L'installation sur le Mont-Riboudet (le campus de Mont-Saint Aignan) et la création de l'Université de Rouen, le recrutement d'enseignant-chercheurs remplaçant les professeurs de lycée permettront de répondre à la demande croissante de formation de professeurs de mathématiques pour les collèges et lycées. Ce n'est qu'au printemps 1969 que les mathématiciens disposent en propre d'un bâtiment. L'architecture intérieure est révélatrice de la conception mandarinale d'avant 1968 : pour chacun des 4 professeurs un grand bureau accolé à une petite pièce pour sa secrétaire personnelle, et pour les assistants et maîtres-assistants des pièces à se partager à trois ou quatre. Tous les bureaux (à l'exception des secrétariats) et toutes les salles de cours sont équipés de magnifiques et immenses tableaux en ardoise qu’emporteront les mathématiciens dans leurs déménagements successifs.
Épopée des maths modernes et apparition de l'informatique
À la rentrée 1970, sous l'impulsion du professeur Jean-Luc PETIT est mise en place une innovation bouleversant la pédagogie classique de l'enseignement des mathématiques à l'université : plus de cours magistral, plus de séances de travaux dirigés, uniquement du travail par groupe d'étudiants en présence d'un enseignant-chercheur sur les documents rédigés collectivement par les enseignants et distribués gratuitement, au grand dam de la corpo science qui vendait auparavant les notes de cours aux étudiants. En quelque sorte de la pédagogie inversée avant l'ère internet. Plus d'examens non plus, mais un contrôle continu permanent (tous les samedis matin !), avec possibilité de repasser le contrôle la semaine suivante ... jusqu'à la réussite. Quant au programme, c'est la grande époque des mathématiques modernes, une place de choix est faite à la théorie des ensembles, mais c'est aussi l'année de l'arrivée de l'enseignement de l'informatique, disons plutôt de la programmation, tous les étudiants en mathématiques apprennent le Fortran, saisissent leurs programmes sur des bandes perforées, mais doivent attendre le lendemain pour en connaître le résultat. Les étudiants n'ont pas de contact avec l'unique ordinateur qui occupe une pièce à lui tout seul alors qu'il est bien moins puissant que le plus simple des smartphones d'aujourd'hui.
Comme dans chaque académie, en 1972 est créé un IREM (Institut de Recherche sur l'Enseignement des Mathématiques), Jacqueline MÉTÉNIER en est la directrice. La première vocation de cette structure est de former les instituteurs et les professeurs de lycée et de collège aux mathématiques modernes. L'IREM de Rouen existe toujours et reste un lieu privilégié de réflexion et de formation pour tous les enseignants de mathématiques de l'académie.
Création d'un laboratoire associé au CNRS
En 1978 Jean-Pierre RAOULT fonde un laboratoire de recherche associé au CNRS, intitulé « calcul des probabilités et statistique ». Le CNRS ne souhaitant que des laboratoires thématiques, subsistent à côté de multiples petits laboratoires (algèbre, analyse, mécanique ...) quasiment un par professeur. À la fin des années 70, nombre de mathématiciens rejoignent le département informatique nouvellement créé.
En février 1985, Cheng De LIN, étudiant chinois de José de Sam LAZARO, soutient la première thèse nouveau régime (qui remplace la thèse de 3e cycle) de l'Université de Rouen.
En 1987, Érik LENGLART est promu professeur à l'INSA de Rouen où il fondera le département Génie Mathématique. Jean-Pierre TROALLIC avait déjà rejoint l'Université du Havre pour y développer l'enseignement des mathématiques. Sous l'impulsion de son nouveau directeur, Claude DELLACHERIE (DR CNRS), le laboratoire étoffe ses relations internationales, il s'informatise, développe une bibliothèque de recherche. Le CNRS qui souhaite renforcer ses laboratoires de province y affecte deux probabilistes chargés de recherche, puis un directeur de recherche statisticien.
En janvier 1995, le bâtiment de mathématique est devenu trop petit, une grande partie des mathématiciens investissent, provisoirement durant dix ans, les anciens locaux de la direction régionale de l'EDF place Colbert. La liaison informatique et téléphonique avec le campus se fait par les airs, cela fonctionne mal aux moindres intempéries et plus du tout en cas de brouillard ! Il n'y a plus qu'un seul laboratoire de mathématiques qui rassemble toutes les disciplines mathématiques présentes à Rouen : probabilités et statistique, mais aussi équations aux dérivées partielles, ce qui représente une large palette des mathématiques appliquées. Ce laboratoire se dénommera LMRS, Laboratoire de Mathématiques Raphaël SALEM(1), en hommage au mathématicien (ancien banquier) qui fut brièvement formellement rattaché à l'Université de Caen après la seconde guerre mondiale. Raphaël SALEM est inhumé dans le cimetière marin de Varengeville-sur-mer.
Le CNRS reconnaît la qualité du laboratoire en attribuant en 1997 la Médaille de Bronze à Claudio LANDIM (CR CNRS), et en 1998 le Cristal à Gérard GRANCHER (IR CNRS).
Mathématiciens et informaticiens se ré-organisent
En 1997 les mathématiciens de l'INSA prennent leur indépendance en créant leur propre laboratoire, mais le DEA puis le master II resteront des formations co-habilitées par les deux établissements rouennais.
En 2004 est créé un master professionnel mathématique «Actuariat et ingénierie mathématique en assurance et finance» qui attire nombre d’étudiants français et étrangers souhaitant travailler dans le secteur privé.
En juillet 2005, mathématiciens et informaticiens déménagent sur le site du Madrillet dans des locaux modernes et spacieux. L'IREM les rejoindra en 2013.
Depuis 2010, la Fédération de Recherche CNRS Normandie-Mathématiques regroupe tous les mathématiciens de Normandie (INSA de Rouen et Universités de Caen, du Havre et de Rouen). En 2017, les études doctorales mathématiques et informatiques de la grande Normandie seront organisées dans une seule école doctorale. Au cours de ce demi-siècle, mathématiciens et informaticiens normands se sont dispersés pour se développer, maintenant ils se rassemblent pour plus d'efficacité : la boucle est bouclée.
En plus de 50 ans, l’Université de Rouen a formé plusieurs milliers de professeurs de mathématiques de lycée et de collège. Plus de 200 thèses de mathématiques(2) (3e cycle, nouveau régime, thèses d'état, HDR) y ont été soutenues. On retrouve des mathématiciens formés à Rouen dans nombre d'universités françaises (Amiens, Calais, Compiègne, Dijon, Grenoble, Le Havre, Le Mans, Lille, Lyon, Marseille, Nantes, Metz, Paris, Rennes, Tours, Toulouse ...) ou étrangères (Afrique du Sud, Algérie, Allemagne, Arabie Saoudite, Canada, Chine, États-Unis, Grèce, Liban, Maroc, Mauritanie, Philippines, Qatar, Russie, Sénégal, Syrie, Tunisie ...). Le nouveau master international de mathématiques renforce encore cet aspect.
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1. Pour en savoir plus sur Raphaël SALEM (1898-1963), on pourra consulter le site lmrs.univ-rouen.fr/Salem/salem.htm. ↩
2. On trouvera en http://lmrs.univ-rouen.fr/Theses la liste des thèses de mathématiques soutenues à Rouen. ↩