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Témoignage souvenir de François CHARLOT

François CHARLOT a été enseignant-chercheur (assistant puis maître de conférence) à l'Université de Rouen d'octobre 1968 à février 2008.

Mathématicien à Rouen,
avec quelques allers-et-retours à Alger.

J'ai eu un poste d'assistant au département de mathématiques de l'université de Rouen en ces temps bénis de l'après 1968. Nous étions huit nouveaux assistants, six rouennais (Jean CALBRIX, Yves CELANIRE, Claudine DHUIN, Jean-Pierre DUVAL, Jean-Pierre TROALLIC et Lucien VERNEY) et deux parisiens (Laurent LEGRIS et moi), et nous avons profité du développement, à l'époque exponentiel, des universités. Nous étions tous des « baby-boomers » et, nés au début de cette grande vague, nous avions pratiquement le choix de l'université où atterrir. Trois m'étaient proposées, et j'ai choisi la plus proche de Paris où j'habitais alors, où j'avais fait mes études, licence de mathématiques et DEA de probabilité, et où j'étais inscrit en thèse de troisième cycle. À l'époque, nous pouvions être recrutés avec une simple licence ou un DEA, tellement le besoin d'enseignants était fort. Nous n'avions évidemment aucune expérience pédagogique, sauf les cours, particuliers ou dans diverses institutions, que nous donnions pour améliorer notre ordinaire d'étudiant. J'ai eu, à cette époque, des étudiants plus âgés que moi.

Photo Je connaissais Rouen pour y avoir passé une semaine, sept années plus tôt, en attendant un cargo qui me ramènera à Alger(1). Les « vieux » rouennais se souviendront peut-être d'avoir vu ces bateaux de marchandises avec un grand S sur leur cheminée. C'étaient des bateaux de la compagnie Schiaffino, compagnie algérienne qui s'était faite enregistrer à Rouen pour éviter de se faire nationaliser en cas d'indépendance de l'Algérie ! Ce qui n'empêchait d'ailleurs pas le vieux Schiaffino de soutenir activement l'OAS !

Je n'étais donc pas tout à fait en territoire inconnu. D'autant que, parmi les « turbo-enseignants » comme moi, figuraient deux anciens professeurs (Maurice BOUIX et Georges BOURION) et deux maîtres-assistants (Francis CHOUCROUN et Gérard LÉVY) de l'Université d'Alger. Georges BOURION avait laissé un souvenir particulier à Alger : durant la période de l'OAS durant laquelle les algériens employés à l'université ne pouvaient y venir sans risquer leur vie, il avait fait suivre leur salaire à leurs adresses.

Pour le jeune parisien que j'étais, Rouen n'était alors pas une ville très attirante. La vie culturelle semblait très pauvre. Quant à l'Université, qui n'avait donc que deux années en 1968, elle était, comparée à la faculté de Jussieu d'où je venais, très démunie et sous-encadrée malgré le gros effort de recrutement. Mais, au département de mathématiques, l'ambiance, parmi les jeunes enseignants, était excellente. Nous avions une réunion de département tous les lundis ! Un séminaire de mathématique était lancé par les jeunes maîtres de conférences(2) : Jean-Pierre RAOULT, Georges HANSEL, Jean-Luc PETIT, Claude BARDOS (remplacé par Makhlouf DERRIDJ) et Paul ROUGEE, lesquels animaient aussi, si j'ai bonne mémoire, un DEA.

Bien sûr, le plus fort de ce qui me reste de cette époque, est l'expérience pédagogique, nous aurions volontiers dit « révolution pédagogique » lancée sous l'impulsion de Jean-Luc PETIT. Plus de cours, travail sur fiches que nous élaborions nous-mêmes. Cela a été, pour le jeune enseignant que j'étais, une expérience formidable. En fait, nous essayions de faire passer notre passion pour les mathématiques. Et ça marchait ! Les réunions syndicales nous montraient les collègues d'autres disciplines partagés entre l'envie et la réprobation : c'était un truc de gauchistes ! Cette « expérience » a duré de 1970 à 1972, Jean-Luc Petit partant alors en coopération.

PhotoJ'ai été absent de Rouen de septembre 1971 à septembre 1975, pour la coopération, d'abord comme VSNA (Volontaire du Service National Actif) puis en contrat. Lorsque je suis revenu, j'habitais alors Mont-Saint-Aignan, d'anciens étudiants étaient devenus mes collègues, il n'y avait plus d'expérience pédagogique et les mathématiques, comme le reste des spécialités de l'Université, étaient enfin structurées en département d'enseignement et laboratoire de recherche avec des budgets séparés. Bien des collègues avaient progressé dans la recherche, j'y ai pris ma part. L'informatique pointait. L'événement le plus marquant, à mes yeux, a été la venue d'un pur CNRS, Claude DELLACHERIE, devancé par une grosse réputation. Ce devait être une locomotive.

Je suis reparti dans mon Algérie natale de 1981 à 1988, y revenant dans des conditions quelque peu rocambolesques. Je n'ai jamais eu l'occasion de remercier l'Université de Rouen de m'avoir permis de partir ... et de revenir. Or, il y a eu un moment où, en 1988, m'étant mis en congé pour convenances personnelles, mon poste aurait pu être publié. Il ne l'a pas été, ce qui m'a permis un retour sans problème. Que tous les collègues qui m'ont évité ainsi de gros ennuis soient ici remerciés. Et puis, de 1988 à aujourd'hui, le département et le laboratoire sont passés d'une organisation que l'on pourrait presque dire familiale à une structure moderne. Et c'est bien ainsi.

François Charlot

Janvier 2016

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1. François Charlot est le fils d'Edmond Charlot, libraire à Alger et éditeur de A. Camus. Pour en savoir plus sur E. Charlot, voir wikipédia.

2. Le corps des Maîtres de Conférences de cette époque correspond à celui de professeur de seconde classe d'aujourd'hui.