Témoignage de Claude DELLACHERIE
et Isabelle LAMITTE
Claude DELLACHERIE, directeur de recherche CNRS, a été affecté,
depuis sa création, à l'unité
CNRS de mathématiques de l'Université de Rouen.
Il est l'auteur, avec Paul-André Meyer, de
Probabilités et théorie du potentiel, célèbre traité en 5 volumes publiés de 1975 à 1992.
Il a été de 1987 à 1996, directeur du laboratoire de mathématiques de l'Université de Rouen.
Actuellement à la retraite, il fréquente toujours la bibliothèque
de mathématiques, en œuvrant à la mise à l'inventaire des nouvelles acquisitions et à la numérisation de documents.
Après avoir exercé à l'INIST-CNRS, puis obtenu un premier poste de documentaliste en 1997
à la MRSH (Maison de la Recherche en Sciences Humaines) de Caen,
Isabelle LAMITTE est depuis 2001 chargée des ressources documentaires de la bibliothèque du LMRS.
Actuellement ingénieur d'études, elle a été élue à la section mathématique du CoNRS (Comité National de la Recherche Scientifique) de 2012 à 2016.
Naissance et développement
de la bibliothèque de mathématiques
Selon Jean-Pierre Raoult, avant 1968, il n'y avait pas de bibliothèque ; chacun des trois professeurs achetait sur ses crédits personnels de chaire les livres qu'il voulait et les rangeait dans une armoire dans son bureau. Si un autre enseignant avait besoin d'acheter un bouquin, il devait aller le quémander chez l'un des trois profs qui le lui prêtait à son arrivée.
La documentation revêt une grande importance pour le (ou la) mathématicien(ne).
Elle est un instrument essentiel (le principal) de son travail.
La durée de vie (période d'intérêt) d'un document est bien plus longue en mathématique que
pour la plupart des autres disciplines scientifiques.
Les mathématiques font partie de
ces domaines pour lesquels la documentation est l'équivalent d'un grand instrument !
Il ne fut pas toujours aisé de convaincre notre université de la nécessité d'investir
en personnel et en moyens financiers dans une bibliothèque de maths.
À mon arrivée en 1978, il y avait une petite bibliothèque constituée, déjà bien pourvue en livres mais n'ayant que peu d'abonnements à des revues. Elle a bénéficié de dons, de crédits de fonctionnement, de contrats, de crédit exceptionnel de la DRIRE(1). Bien organisée, je ne sais par qui, elle était maintenue par une secrétaire du département (Denise Leretour) et quelques volontaires.
Vers 1990 j'ai mis en route, et largement
participé à une informatisation
locale à l'aide d'un logiciel pour modeste(?) bibliothèque municipale ;
je ne disposais temporairement que d'une succession de « TUC » et de
« CES »(2) pour m'aider à gérer la bibliothèque,
bref un fonctionnement qui n'avait rien de professionnel.
Plus tard, nous avons eu droit à l'aide successive de deux étudiants
scientifiques objecteurs de conscience (Laurent Déséchalliers puis Thomas
Blossier), bien plus efficaces - surtout le second qui mit au point un transfert
vers une base de données Paradox, laquelle plus tard servit
de point de départ pour l'informatisation professionnelle actuelle.
Pendant tout
mon directorat, j'ai demandé, en vain, à la faculté des sciences (doyen Pierre
Auger)
un personnel permanent pour la bibliothèque - on me répondait qu'il y
avait déjà une bibliothécaire à la bibliothèque de l'IREM(3)(Institut de Rceherche sur l'Enseignement des mathématiques)... Deux directeurs
plus loin, le CNRS nous a gratifié du sourire que vous connaissez et à qui je
laisse la plume.
Claude Dellacherie
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À mon arrivée en octobre 2001, la bibliothèque du laboratoire existait déjà.
Une pièce du bâtiment de la place Colbert était dédiée aux ouvrages, encyclopédies et dictionnaires,
une autre était réservée aux revues et thèses.
Deux bases de données recensaient l'ensemble des documents présents à la bibliothèque.
L'accès aux données s'effectuaient sur place depuis un poste informatique et réservés aux seuls lecteurs de la bibliothèque.
Une de mes missions fut de réinformatiser l'unité documentaire. Ce fut chose faite grâce aux dotations budgétaires du ministère
(PPF(4)),
du CNRS (DR19 - service formation)
et de l'Université de Rouen (BQR(4)).
En 2007, nous avons acquis un automate de prêt qui permet aux lecteurs d'emprunter eux-mêmes les livres et thèses en accès libre. Depuis le site web de la bibliothèque, les lecteurs peuvent interroger le catalogue local(5). Les collections sont également visibles dans le catalogue collectif français des bibliothèques universitaires et de recherche de l'enseignement supérieur appelé le Sudoc. Aujourd'hui, la bibliothèque est accessible aux membres du LMRS, 24h/24 et 7j/7 grâce à un badge, et à tout le monde aux heures d'ouverture.
La particularité de notre bibliothèque est d'être gérée par une documentaliste et un responsable scientifique(6) des acquisitions. La bibliothèque propose plusieurs services dont le prêt de documents et le prêt entre bibliothèques, la fourniture d'articles, l'accès à des ressources électroniques telles que MathSciNet ou JSTOR.
Depuis 2013, la bibliothèque de l'IREM de Rouen est intégrée dans les locaux de la bibliothèque de mathématiques, son catalogue est en cours d'informatisation.
Le LMRS (comme beaucoup d'autres unités de recherche en mathématiques) consacre à sa bibliothèque plus d'un quart de son budget de fonctionnement.
La BU Sciences du Madrillet (SCD) finance en partie l'abonnement à la base de données MathSciNet. La bibliothèque est inscrite dans le Plan de conservation partagé des périodiques haut-normands et de celui des revues de mathématiques (PCPMath) pour lequel elle a une mission nationale de conservation pour 4 titres.
En mathématique, sous l'impulsion du CNRS, la politique documentaire s'organise depuis plusieurs années au niveau national pour garantir une égalité d'accès aux ressources à tous. Cela s'est concrétisée par la création de deux structures et depuis peu d'un portail fédérateur :
- Fondé sur la solidarité entre ses membres et la mutualisation des compétences des personnels de bibliothèques, le Réseau National des Bibliothèques de Mathématiques (RNBM), créé en 1983, est devenu un groupement de service du CNRS en 2004 (GDS 2755) auquel le LMRS et la fédération Normandie-Mathématiques viennent de renouveler leur adhésion pour le contrat de 2016-2019,
- La Cellule MathDoc, unité mixte de service à l'Université Grenoble Alpes (UMS 5638) créée en 1996 « a pour mission de coordonner la structuration nationale de la documentation pour la recherche en mathématiques ».
- Le portail Math, quant à lui a été mis en œuvre, en particulier, pour fédérer l'ensemble des ressources numériques (articles de revues, bases de données, prépublications et livres numérisés) disponibles au sein de la communauté mathématique.
Un projet de numérisation des brochures Inter-Irem a été initié par l'ADIREM. Claude Dellacherie a numérisé un corpus de brochures produites par les animateurs de l'IREM de Rouen de 1977 à 2007. Un lien vers ces fichiers est référencé dans la base de données PubliMath.
Les documents dématérialisés sont de plus en plus nombreux, mais les vrais livres, sur support papier, ont encore de beaux jours devant eux, notre bibliothèque en possède actuellement plus de 12 000, la plupart d'entre eux écrits en anglais.
Isabelle Lamitte
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1. DRIRE = Direction Régionale de l'Industrie, de la Recherche et de l'Environnement. ↩
2. TUC = Travaux d'Utilité Collective, CES = Contrat Emploi Solidarité. Ceux qui ignorent ou ont oublié ce que cachent ces sigles : https://fr.wikipedia.org/wiki/Contrat_Emploi_Solidarit%C3%A9. ↩
3. Argument sur-réaliste, l'IREM n'était même pas dans le même bâtiment que les mathématiciens. Et quand cette bibliothécaire-documentaliste partit à la retraite, elle ne fut pas remplacée ! ↩
4. PPF = Plan Pluri-Formation (Patrizia Donato en assura la responsabilité).
BQR = Bonus Qualité Recherche (ce sont des crédits attribués sur projet par l'Université de Rouen).
↩
5. Ce catalogue est mutualisé avec celui de la bibliothèque J. Hadamard d'Orsay et la bibliothèque de l'IHÉS de Bures-sur-Yvette. ↩
6. Actuellement le responsable scientifique est Thierry de la Rue qui a succédé à Claude Dellacherie. ↩